Les
Versaillais du Larzac
Le
18 juillet, le Larzac recevait le ministre de l'Agriculture venu
signer la prolongation
du bail de la Société civile des terres du Larzac (SCTL).
du bail de la Société civile des terres du Larzac (SCTL).
Des
militants solidaires de la lutte des paysans de
Notre-Dame-des-Landes,
venus de Millau, de Saint-Affrique, de Rodez... et du Larzac,
se sont invités pour interpeller le ministre sur cette question,
au grand dam de paysans du Larzac devenus soudain schizophrènes.
venus de Millau, de Saint-Affrique, de Rodez... et du Larzac,
se sont invités pour interpeller le ministre sur cette question,
au grand dam de paysans du Larzac devenus soudain schizophrènes.
En
1985, quatre ans après l'abandon du projet d'extension du camp
militaire, l'Etat rétrocédait aux paysans du Larzac les
terres qu'il avait acquises dans cette perspective, par la création
d'un office foncier, la SCTL, unique en France : l'Etat reste
propriétaire des terres, mais celles-ci sont gérées
directement et collectivement par les paysans. Les avantages sont
nombreux : pas de propriété privée, donc ni
spéculation foncière ni accaparement de terres à
des fins non agricoles ; installation de jeunes paysans qui
n'ont plus à s'endetter à vie auprès des banques
et peuvent, avec l'assurance de baux de carrière jusqu'à
leur retraite, se concentrer sans crainte sur leur activité et
ainsi innover dans une agriculture paysanne respectueuse de la
qualité et de l'environnement ; fermes toutes exploitées,
et non utilisées comme des résidences secondaires, etc.
Par ce système, le Larzac est aujourd'hui un "pays"
peuplé, vivant, actif, novateur, où la population
agricole a augmenté de 20 % en trente ans, à
l'inverse de ce qui se passe partout ailleurs en France.
Qu'un
ministre de l'Agriculture vienne sur le Larzac pour prolonger ce
bail, et exprimer ainsi, trente ans après, la reconnaissance
de l'Etat pour le travail effectué... très bien. Même
si sur le Larzac, nous sommes quelques-uns à nous être
interrogés sur ce qui pouvait aussi avoir, en marge, une
signification politique : un ministre (Stéphane Le Foll)
accueilli par un député européen (José
Bové, cogérant de la SCTL), tous deux anciens collègues
dans la commission "agriculture" du Parlement européen.
De l'extérieur, ne pouvait-on pas aussi voir-là une
opération de communication et de double tentative de
récupération politique faite sur le dos de tous les
habitants du Larzac, donc aussi le nôtre : d'un côté,
un gouvernement adoucissant son image d'inflexibilité à
Notre-Dame-des-Landes en "soignant" le Larzac ; de
l'autre, un député européen en fin de mandat
"soignant" son avenir politique en se montrant proche du
pouvoir en place ? Peut-être pas. Mais pour dissiper le
doute, nous aurions préféré que ce nouveau bail
soit signé ailleurs que sur le Larzac. Il existe une
préfecture à Rodez, et une sous-préfecture à
Millau... Mais personne ne nous a demandé notre avis.
Admettons...
Par
contre, ce qui nous a paru certain, c'est le message déplorable
que le Larzac allait envoyer aux militants de Notre-Dame-des-Landes
qui, eux aussi, comme les Larzaciens l'ont fait en leur temps, se
battent pour la préservation de leurs terres contre un projet
inutile : fin novembre, les Larzaciens affrétaient un bus
pour venir les soutenir en nombre ; huit mois plus tard, les
mêmes dérouleraient le tapis rouge au ministre d'un
gouvernement qui leur a envoyé des régiments entiers de
gardes mobiles, déclenchant une véritable guerre dans
le bocage nantais. Pour nous, la moindre des choses était,
après avoir pris acte de la venue du ministre, d'en profiter
pour l'interpeller sur cet point. Simple question de cohérence.
Mais là, nos "camarades" et voisins de la SCTL et de
la Confédération Paysanne nous ont répondu :
« Halte-là,
pas de vagues, ne mélangeons pas tout. »
Nous
sommes quelques-uns à vivre sur le Larzac depuis de nombreuses
années, mais sans être ni paysan (donc non adhérent
à la Conf), ni "preneur" à la SCTL. Malgré
le fait de nous être bien intégrés et d'avoir
démontré à plusieurs reprises que nous pouvions
être aussi militants que les "anciens" du Larzac,
aucune place ne nous est faite, là où nous vivons et
militons, quant à l'expression politique. Politiquement
parlant, si nous ne nous plaçons pas en rangs serrés
derrière le discours larzacien, c'est-à-dire "bovéen",
dominant, nous n'existons pas. C'est ainsi que, par exemple, j'ai
personnellement appris la venue du ministre non pas de la bouche de
mes "camarades" et voisins... mais dans la presse locale !
Ce que nous avons donc fait le 18 juillet, ce fut tout simplement de
nous créer une tribune qui nous est refusée par nos
propres "camarades". Des "camarades" qui savent
pourtant où nous trouver lorsqu'il s'agit de démonter
un MacDo, de grossir les rangs des Faucheurs d'OGM, de participer à
des actions de soutien lorsque José Bové est
embastillé, d'organiser le "Larzac 2003", etc. Des
"camarades" qui affirment pourtant partout que de la lutte
du Larzac, « il
en est resté une ouverture d'esprit et une vraie qualité
d'écoute de l'autre. » (voir
le film "Tous au Larzac" de Christian Rouauld). Nous
les avons donc pris au mot. Dans les jours précédant la
visite du ministre, certains d'entre nous ont fait du porte-à-porte
pour aller rencontrer des gérants de la SCTL et des adhérents
de la Conf. Ce qu'ils ont reçu en retour de la part de
certains (José Bové en tête), fut des insultes et
des menaces.
Mais
le pire allait survenir le 18 juillet. Après
avoir bien pris soin de ne pas entraver l'arrivée du
représentant de l'Etat (nous sommes tous très heureux
de la prolongation du bail de la SCTL !), nous comptons bloquer son
départ pour l'obliger (?) à venir discuter avec nous.
Pour cela, il nous faut prendre position sur la seule route
praticable, et donc pousser un peu les gendarmes qui veulent nous en
empêcher. Et là, énorme surprise ! Les
gendarmes ne sont pas seuls. Ils peuvent compter sur le renfort et
l'activité énergique de deux de nos "camarades".
Le journaliste du Midi
Libre,
présent,
en
est lui-même choqué. Le lendemain, il écrira :
« Qui
l'eût cru ? Qui aurait imaginé voir un jour Pierre
Burguière et Léon Maillé [intervenants
dans "Tous au Larzac"],
figures emblématiques de la lutte du Larzac, pousser aux côtés
des gendarmes, face à des manifestants opposés au
bétonnage de terres
agricoles ?
C'est pourtant cette scène inattendue qui s'est déroulée,
le 18 juillet, en parallèle à la visite du ministre de
Agriculture Stéphane Le Foll. » Et
encore, il n'a pas tout vu. Il n'a pas vu Léon, pourtant
militant non-violent convaincu (?), saisir violemment à la
gorge une de ses voisines et camarade de lutte des années 70,
geste qu'aucun gendarme ne s'est permis à notre égard,
juste parce qu'elle n'était pas de son avis. Il ne l'a pas vu
ouvrir, à la place des gendarmes, la clôture pour
permettre aux notables encravatés de fuir en contournant notre
barrage. Spectacle pitoyable, au sens propre du terme, d'anciens
paysans qui, après s'être levés en 1971 contre
l'arrogance des puissants qui voulaient les spolier, sont redevenus
des paysans serviles prêt à tout, sans même qu'on
leur en donne l'ordre, pour que personne ne vienne déranger
"not' bon maître". Chassez le naturel, et il revient
au galop.
En
1973, lors du premier grand rassemblement sur le Larzac, Bernard
Lambert, fondateur des Paysans Travailleurs (qui allaient par la
suite participer à la création de la Confédération
Paysanne), avait solennellement déclaré :
« Plus jamais les paysans ne seront des Versaillais (1),
plus jamais ils ne s'opposeront à ceux qui veulent changer la
société. » Ceux
qui se prétendent ses héritiers feraient bien de
réviser leur propre histoire.
Gilles
GESSON
(habitant
du Larzac)
(1)
Allusion aux soldats de l’armée régulière,
d'origine paysanne, organisée en 1871 par Adolphe Thiers au
camp de Satory, près de Versailles, pour écraser la
Commune de Paris.